Quel nombre optimal de bourgeons et de greffons faut-il greffer sur un arbre ?


optimiser les greffes d’arbres – essai mathématique

Quel nombre optimal de bourgeons et de greffons faut-il greffer sur un arbre ?​

Cette question peut paraître anodine, mais elle passe par la tête de tous les amateurs de la greffe sur porte-greffes sauvages.

Traditionnellement, pour les greffes de rameaux, le nombre de bourgeons par greffon avoisine les 3.

Nous avons vu, notamment suite aux travaux d’Andy Darlington, qu’augmenter le nombre de greffons et de bourgeons sur un arbre lors de la greffe offre un nombre d’avantages non négligeable : conservation du potentiel de l’arbre, mise à fruit plus rapide, conservation de l’architecture de l’arbre, augmentation du taux de réussite par arbre, meilleur recouvrement des plaies, réduction du nombre de rejets sur le tronc …

Jusqu’ici, le choix du nombre de greffons et de bourgeons greffés sur un arbre s’est fait de manière empirique, « à la louche ».

Dans ce document, je propose une méthode pour calculer le nombre de bourgeons/greffons optimal afin de conserver au mieux le potentiel de l’arbre, je détaillerai aussi ce que l’on peut attendre en fonction de différents scénarios de choix de nombre de greffons/bourgeons.

Greffe en couronne
Greffe en couronne “classique” – quelques bourgeons, quelques greffons. Est-ce optimal pour l’arbre?

I. Principe de conservation des surfaces

conservation surfaces greffes
La somme des surfaces jaunes est égale à la somme des surfaces bleues qui est aussi égale à la surface verte

Si on imagine un arbre comme un ensemble de faisceaux cylindriques juxtaposés allant depuis le collet jusqu’aux extrémités des branches, on peut considérer que le nombre de faisceaux ne varie pas en fonction de la hauteur de l’arbre. Ainsi, si on imagine une coupe de l’arbre à différentes hauteurs, la somme des surfaces des sections obtenue reste équivalente.

On peut en déduire qu’il y a un rapport entre diamètre du tronc et nombre de branches de l’année (et leur diamètre) : la surface d’une coupe hypothétique du tronc est égale à la somme des surfaces des coupes hypothétiques à la base des bois de l’année.

Cette observation structurelle de l’arbre avait été faite par Léonard de Vinci et sert de nos jours pour modéliser des arbres dans les jeux vidéos par exemple. Cette loi porte plusieurs noms et varie un peu en fonction de leur re-découvreur. Notamment, un coefficient peut être rajouté pour rééquilibrer une différence structurelle pour certains arbres. Cette règle illustre le côté fonctionnel du bois de l’arbre qui sert à déplacer des volumes de liquide d’une extrémité à l’autre de l’arborescence.

II. Lien avec la greffe : la conservation de la continuité des surfaces

Mon hypothèse est que si on veut conserver le potentiel de croissance de l’arbre qu’on va greffer, il faut conserver ce rapport entre la sommes des surfaces des coupes des bois de l’année et la surface transversale du tronc.

Il suffit donc de calculer à combien de branches de l’année correspond le tronc de l’arbre à greffer, ce qui nous donnera le nombre de bourgeons à greffer dessus (chaque bourgeon pouvant donner une branche).

Dans l’idéal, il faut anticiper le diamètre que le tronc aura à la fin de la saison de croissance suite à la greffe.

III. Calculs

Définissons les paramètres :

  • Dtronc = diamètre du tronc
  • Dgreffon = diamètre d’un bois de l’année
  • Nb = Nombre de bourgeons qui doivent être greffés
  • Stronc = Surface du tronc
  • Sgreffon = surface à la base du bois de l’année

On a donc :

Stronc = ΣSgreffon

soit :

formule greffon

Ce qui veut dire que le diamètre du tronc au carré est égale à la somme des diamètres des bois de l’année au carré. Si on simplifie en prenant un diamètre moyen des bois de l’année, le nombre de bois de l’année est donc le rapport de ces deux valeurs :

Nb = Dtronc² / Dgreffons²

Avec cette formule on comprend qu’avec une taille de greffons fixe, le nombre de bourgeons à greffer sur un arbre augmentera en fonction du carré du diamètre de l’arbre.

graphique greffons
Nombre de bourgeons à greffer en fonction du diamètre du tronc, et de la taille des greffons

La courbe est une parabole, le nombre de bourgeons à greffer augmente rapidement avec le diamètre des troncs, un diamètre de greffon plus gros permet d’atténuer l’accroissement de la courbe.

IV. Test de l’hypothèse

Pour vérifier cette hypothèse, on peut greffer différentes variétés d’arbres sauvages, de différentes tailles de troncs avec un nombre varié de bourgeons. On comparera ensuite le nombre de bourgeons s’étant développés en « belle » branche avec la prédiction de la formule. On s’attendrait à avoir des greffons très larges lorsque le nombre de bourgeons greffés est inférieur au nombre calculé par la formule. On s’attendrait aussi, lorsque le nombre de bourgeon greffés est supérieur, à voir des bourgeons se développer en petites branches/organes fructifères.

J’ai réalisé cette expérience sur la saison de greffe 2021, les arbres ont été greffés en mars, et les mesures ont été prises avec un pied à coulisse fin octobre 2021. Le diamètre du tronc a été mesuré quelques centimètres sous les premiers points de greffes. Ont été notés le nombre de bourgeons greffés et le nombre de branches de l’année que ces bourgeons ont donné. Les branches de l’année ont été mesurées à leur base avec un pied à coulisse : une moyenne grossière a été calculée lorsque le nombre de branches était élevé. Ces mesures ont été faites sur 15 sujets : pruneliers, pruniers, poiriers, cerisiers ste Lucie, aubépines. Y ont été greffés : prunes, poires, cerises, néfliers d’Allemagne et pommes (sur poiriers à feuilles d’amandier).

V. Discussion des résultats

Peu de sujets ont été testés dans cette expérience, pour autant il semble y avoir une corrélation suffisamment forte pour considérer que mon hypothèse est valable. Notamment plus de la moitié des sujets avait été greffée avec un nombre supérieur de bourgeons qu’il en était nécessaire pour que les surfaces de greffons et de tronc correspondent, dans ces cas les bourgeons se sont dans la plupart des cas transformés en bourgeons fructifères.

Les mesures n’ayant été faites qu’à l ‘automne, cette expérience permet surtout de montrer que les arbres greffés semblent tendre à équilibrer la surface transversale entre le tronc et les bois de l’année. La dimension prédictive de la formule ne reste qu’approximative sans conditions expérimentales plus poussées.

La diversité des porte-greffes montre que la règle semble valable dans tous les cas. Pour autant il faudrait peut-être affiner les données avec les greffes où il y a un gros écart entre les sections du porte-greffe et les sections des parties greffées, comme le cerisier sur ste Lucie.

L’estimation du diamètre à la base d’un bois de l’année ne peut être qu’approximative : dans certaines conditions, la pousse de l’année peut être extraordinaire.

La formule semble pouvoir ainsi prédire le nombre de bourgeons moyens qui se développeront pour donner des branches, et le nombre qui feront des bourgeons fructifères.

Le nombre de bourgeons par branches n’a pas été testé, je pense qu’il y a une limite du nombre de branches de belle taille qu’un seul greffon peut développer, que j’estime de part mon expérience autour de 5 branches. Ce sujet pourra faire l’objet de futures expériences.

Les diamètres des troncs étudiés sont relativement similaires (de 0,85 à 4,6cm) ; peut être que la formule serait à affiner pour des diamètres plus larges.

VI. Mise en pratique de la formule

Pour savoir le nombre de bourgeons qu’on pourrait greffer sur un arbre, on peut mesurer le diamètre du tronc d’un arbre, ainsi que le diamètre à la base de beaux greffons (les beaux greffons ont un diamètre à la base équivalent au diamètre des futurs bois de l’année).

On peut faire le rapport des carrés des diamètres : du tronc + pousse de l’année , sur le diamètre d’un greffon, ce qui nous donne le nombre de bourgeons.

La formule sera donc :

Par exemple, si le tronc de votre arbre fait 4,5 cm, et vos greffons 0,9 cm de diamètre, on peut imaginer que le tronc va grossir de 0,5 cm.

On pose : 5²/0.9²=30.8

Il faut donc poser 31 bourgeons sur votre arbre.

Sachant qu’un seul greffon est limité en nombre de branches de belle taille qu’il peut porter, on va imaginer qu’il y aura maximum 5 belles branches par greffons. On pose : 31/5=6.2

On doit donc repartir au moins 31 bourgeons sur au moins 7 greffons !

Avec ce chiffre, on sait aussi que pour chaque bourgeon en plus greffé sur l’arbre, on créera en moyenne un futur bourgeon fructifère en plus.

Il est toutefois difficile de prendre en compte le grossissement du tronc de l’arbre pour l’année à venir, qui dépend de plusieurs paramètres. On peut tout de même utiliser la valeur du diamètre du tronc actuelle comme limite basse.

En pratique, on peut estimer l’ordre de grandeur du nombre de bourgeons à greffer en estimant le nombre de greffons qu’il faudrait pour faire un fagot de la même taille que le tronc de l’arbre que l’on souhaite greffer. Le nombre de greffons dans le fagot donne grosso modo le nombre de bourgeons qu’il faudrait greffer. En divisant par 5 cela nous donne le nombre de greffons à insérer avec 5 bourgeons….

Une façon encore plus simple de respecter la formule serait de greffer systématiquement toutes les branches d’un arbre sauvage à partir d’un certain diamètre, c’est à peu prêt ce que font les greffeurs voulant respecter au mieux le potentiel de l’arbre.

Le nombre de bourgeons à greffer sur un arbre augmentant en fonction du carré du diamètre de l’arbre, on se rend compte qu’il est très vite plus difficile de respecter l’équilibre d’un arbre lors d’une greffe sauvage pour des troncs dépassant les 10 cm !

VII. Conclusion

Je pense avoir démontré qu’il existe un rapport mathématique précis entre le nombre de bourgeons à greffer sur un arbre adulte et le diamètre de ce tronc pour exprimer au mieux le potentiel de croissance de l’arbre. Avec ces résultats, il est maintenant possible de prédire avec précision la réaction d’un arbre suite à une greffe en fonction du nombre de bourgeons greffés. On peut donc ajuster au mieux ses stratégies de greffage. La connaissance de cette formule nous permet de se rendre compte de la difficulté de greffer des vieux arbres tout en respectant leur potentiel de croissance total.

Ces calculs nous permettent aussi d’envisager des stratégies de mise à fruits plus précoce.

Clément pour les Humus Pays d’OC

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